Vous assurez le commissariat de l'exposition « Aléas, pratiques de l'adaptation » dont le sujet est le fruit de longues discussions communes et réflexions sur la posture du créateur. Comment cette idée d'exposition a-t-elle émergé ? BM : C'est suite à de nombreuses discussions ensemble et à l'opportunité d'investir la galerie du JAD. Il faut rappeler également qu'avec Nicolas nous sommes pris dans des questions pédagogiques, en enseignant chacun dans des écoles différentes. C'est un endroit où se pose la question de la transmission de notre discipline, du design. Il y a des notions dont on entend parler moins souvent et qui sont pourtant cruciales et essentielles telles que le rapport à l'intuition et à l'adaptabilité. Il s'agit de compétences et d'attitudes qui doivent naître chez les designers et qui s'acquièrent dans l'expérience. Il se trouve que l'exposition repose sur la volonté de mettre le doigt sur ces notions. NV : Ce sont des questions qui nous paraissent fondamentales dans la manière dont nous approchons des projets et la pratique au sens large. Ce ne sont pas forcément les choses qui sont les plus simples à dire, les plus simples à transmettre et dont il est le plus simple de parler. L'objet qui parfois est suffisamment éloquent pour s'incarner lui-même, avec son propre vocabulaire. Un vocabulaire, qui dit avec des formes, avec des usages, avec des fonctions. Au fil de nos nombreux échanges, est apparue l'envie de faire exister ces questionnements et ces notions-là autrement que par le projet lui-même ou par l'objet lui-même. Cette exposition est en quelque sorte une chambre d'écho à ces notions-là, que l'on essaye de rendre intelligibles en réunissant le travail d'autres personnes. En parlant d'attitude, comment définiriez-vous ces postures de l'adaptation, ces notions d'aléas ? NV : Ce qui est intéressant de souligner ou de résumer, c'est ce que raconte le titre de l'exposition. C'est d'abord l'aléa qui mène à des pratiques d'adaptation. Et cet « aléa » qui peut avoir une connotation plutôt négative, pessimiste, nous l'envisageons plutôt comme un ensemble d'opportunités de reconfigurations ou de paramètres avec lesquels il peut être pertinent de composer. Par ailleurs, il est aussi d'une forme de nécessité, dans un monde en constante transformation de ne pas obstruer ou de ne pas masquer les aléas, mais de les accepter et de composer avec pour cultiver une forme d'adaptabilité. BM : C'est en quelque sorte une ode à l'adaptabilité. Depuis plusieurs années, nous voyons émerger des méthodologies en design qui seraient prêtes à l'emploi. Ce à quoi Nicolas et moi ne croyons pas du tout. Il nous semble nécessaire de savoir aussi lâcher prise : d'être à l'écoute de contextes ou de potentialités qui sont en présence, d'accepter que les choses ne soient pas prédéterminées à l'avance. En étant dans l'observation et dans l'écoute d'un certain nombre de choses, on peut être d'autant plus juste dans la manière de penser le projet, dans la manière de dessiner des objets, dans la manière de les faire exister. NV : Oui, comment on partage ? Comment on révèle ? Comment on valorise et comment on donne de l'importance à ces attitudes ? Pour prolonger ce que dit Baptiste, on peut résumer cette manière d'être au monde par des attitudes qui témoignent d'une forme de disponibilité à ce qui environne l'individu, le designer, l'artisan et le projet. Nous valorisons cette grande capacité des créateurs à se rendre disponibles, à rester perméables à ce qui les entoure, cette attitude qui consiste à ne pas avancer avec des idées préconçues et réponses prédeterminées. La transformation fait partie du projet, il faut accepter de se laisser transformer et accepter que le projet se transforme. Au sein de l'exposition, vous présentez de nombreuses démarches de créateurs. Comment cette recherche curatoriale vous a-t-elle permis d'appliquer cette posture de l'adaptation - propre à la posture du designer - à l'univers de l'artisanat d'art ? BM : Cela renvoie à plusieurs questions qu'on se posait avec Nicolas. Cette exposition vient également du fait que nous sommes entourés de designers pour lesquels nous avons une profonde estime du travail et que nous souhaitions mettre en avant lors de cette exposition. Ce projet curatorial est donc d'abord une observation des attitudes autour de nous qu'on trouve intéressantes. Pour l'artisan et peut être plus spécifiquement les métiers d'art, se pose la question de la maîtrise technique. Le lâcher prise n'est pas forcément évident parce qu'il y a une telle maîtrise du savoir-faire au sein de ces métiers, que la notion d'imprévu n'est pas forcément celle qui ressort au sein du projet. Mais il se trouve qu'il y a aussi des attitudes d'artisans qui correspondent complètement à ce qu'on voulait mettre en évidence. NV : L'artisanat (d'art) se définit par une forme de prouesse technique. La reconnaissance d'un bon artisan tient souvent à sa capacité à aller loin dans la technique, on juge un Compagnon du devoir à sa capacité à livrer ce qu'on appelle un chef d'œuvre à la fin de sa formation. Paradoxalement, ce n'est pas tant ça qui nous intéresse, ce n'est pas tant l'effort, le temps de travail qui est visible dans la pièce et qui va donner de la valeur à l'intention. C'est plutôt ce qu'évoquait Baptiste juste avant : la capacité de l'artisan comme du designer, à composer à un moment donné du projet avec une forme de lâcher prise, à se laisser surprendre par l'inattendu et à l'accepter dans le projet voire à l'entretenir. Dans les projets que nous avons sélectionnés, ce sont les pistes ouvertes par des accidents au cours du processus que nous mettons en avant. Par exemple, des cas où l'artisan accepte qu'à un moment de la fabrication un imprévu puisse ouvrir une voie de recherche. Où l'artisan va ensuite s'employer à le maîtriser dans une certaine mesure pour dialoguer avec cet accident cette forme d'aléas qui va constituer le cœur du projet. Continuer la lecture sur www.le-jad.fr |